jeudi 4 décembre 2014

Contribution: EXHIBIT B : Les Noirs sont-ils des êtres humains comme les autres humains ? L'intelligentsia et les médias français répondent : NON ! par BL NICYOLIBERA



EXHIBIT B : Les Noirs sont-ils des êtres humains comme les autres humains ? L'intelligentsia et les médias français répondent : NON !

Par B.L NICYOLIBERA, auteur de « Nous les Nègres : le récit africain contre le récit néocolonial – Pour la renaissance africaine », Dagan Editions, 2014

« Abject ! Indigne ! Une insulte contre la dignité humaine,... ». Voilà quelques mots que les Noirs de France auraient aimé entendre de la bouche de l'intelligentsia et des médias français qui encensent Exhibit B où lui trouvent des circonstances atténuantes pour lui apporter leur soutien.

En cette fin d'année 2014, en pleine effervescence des fêtes de fin d'année, le public français se voit proposer, pour finir l'année en toute beauté, un événement culturel des plus excitants pour les nostalgiques des épopées coloniales et esclavagistes de la nation française.

J'ai nommé : Exhibit B, le spectacle qui recrée, en miniature, les expositions coloniales de zoos humains, sous le prétexte de dénoncer le racisme, en reproduisant précisément, ses mécanismes et ses clichés racistes. Le commettant de cette abomination cherche-t-il de quoi agrémenter les débats autour des repas familiaux de fin d'année dans les demeures de la bourgeoisie et de l'intelligentsia françaises?

L'histoire des Noirs imposée par l'imaginaire, le regard et le geste d'autrui lui colle à la peau. En 2014, en France, on n'est pas encore capable de voir un Noir autrement que dans le rôle et la place d'éternel humilié que les esclavagistes et les colons lui ont assigné de force. Puisqu'il n'a même pas le droit de s'indigner ni de se plaindre et que s'il le fait malgré les coups de boutoir et, parfois, les menaces réelles, on lui répond qu'on sait ce qui est bon et mauvais pour lui. Et, il lui est fourni une pléthore de « négrologues » héritiers de ces mêmes esclavagistes et colons qui viennent expliquer la souffrance des Noirs et ce qu'il convient de faire pour l'apaiser. En fait, le Noir français apparaît comme un citoyen de seconde zone, systématiquement traité comme un mineur incapable d'exprimer le moindre point de vue sur sa réalité. Il peut toujours causer, on ne l'entend pas. Il peut crier autant qu'il veut, nul n'a l'intention de l'écouter ni de l'entendre. D'où cette propension toujours à l’œuvre de l'exclure du débat des sujets qui le concernent au premier chef, et de vouloir prendre en charge sa culture, sa mémoire, son histoire, ses revendications, et même sa personne sans qu'il soit nécessaire de requérir son avis.

Tout au long de cette histoire de viols et de violences, le seul souci des héritiers racistes, esclavagistes et colonialistes, est de vouloir toujours imposer une opinion selon laquelle le Noir est une espèce de chose qui subit, se laisse faire et reste passif malgré les assauts et le viol de son corps, de son intégrité et de sa dignité. Pendant ce temps, ses héros et ses résistants sont systématiquement ignorés, ridiculisés, tournés en dérision, diabolisés, quand il ne sont pas purement et simplement emprisonnés, exilés ou assassinés. L'histoire de l'esclavage, de la colonisation et du néocolonialisme est une histoire d'humiliations et de violences permanentes et perpétuelles par une caste de « Blancs » sadiques et cyniques. Et quand il s'agit des Noirs, ces humiliations et ces violences sont même sublimées : elles sont vites transformées en "art"! On en fait des spectacles et des divertissements, on arrive à faire de l'humiliation des Noirs une esthétique et une attraction grand public qui génèrent beaucoup d'argent. Pendant la grande époque des expositions coloniales en Europe, on pratiquait le lynchage des Noirs aux États-Unis. Dans les deux cas de figure, on se déplaçait en masse, en famille et entre amis.

Il n'y a aucun affront, aucune humiliation ni aucune violence assez graves ni abjectes pour les Noirs. Tout, mais absolument tout, est permis contre ces derniers. Il suffit de s'y mettre, pour peu qu'on ait perdu son sens commun de l'humanité. Le Noir est le champ de toutes les expériences. Aucun blâme ni aucune sanction à encourir même si l'on fait preuve d'une extrême cruauté.

Exhibit B de Brett Bailay s'inscrit dans cette lignée d'un racisme institutionnel, populaire et subventionné afin que tout le monde y ait accès. Du coup, l'attitude des élites et des médias français « blancs » qui cautionnent et promeuvent l'insulte contre leurs concitoyens Noirs, conduit inéluctablement à poser cette question : les Noirs sont-ils des êtres humains comme les autres humains?

La question a déjà été posée, il y a très longtemps. De Bartholomé de Las Casas1, l'exécuteur testamentaire, en quelque sorte, de la bulle papale du 8 janvier14542, au comte Joseph Arthur de Gobineau3 le théoricien du racisme encore en cours à ce jour, tout ce qu'ont compté la France et l'Europe comme intellectuels, hommes de sciences ou de sagesse se sont penchés sur le problème dès le 15ème siècle. Toutes les sciences jusqu'alors connues - la théologie, la politique, la philosophe, l'économie, la biologie, la chimie, la physique, les mathématiques, l'ethnologie, la sociologie,... ont été convoquées et mises à contribution pour statuer sur le cas d'humanité des Nègres. On ne sait pas s'il y eut d'âpres débats, mais ils ont été tous unanimes pour nier toute forme d'humanité au Nègre. Et que croyez-vous qu'il s'en suivit? Le ravalement du Noir au rang de l'animal de compagnie et du plus futile des objets meubles domestiques.

L'esclavage et la colonisation furent aussi l’œuvre des Lumières4 desquelles a jailli la république et ses valeurs universelles. Ce fut l'intelligentsia, les courants et les relais d'opinions de l'époque qui tranchèrent la question, de manière définitive : le Nègre n'est pas un être humain, il n'en a ni l'âme ni les facultés. Quelques saillies de grands hommes de cette période explosive d'inventions et d'intelligences à propos des Noirs : on se contentera de deux extraits et on conviera le lecteur à faire des recherches sur les célébrités comme Victor Hugo, Voltaire, Montesquieu, Jules Ferry et autres...pour savoir leur opinion sur les Noirs.

«La plus stupide, la plus perverse, la plus sanglante des races humaines (…) Aucun progrès, aucune invention, aucun désir de savoir, aucune pitié, aucun sentiment (…). La couleur noire, la couleur des ténèbres est vraiment le signe de leur dépravation» Alfred Michiels dans « Le capitaine Firmin ou la vie des nègres en Afrique », Paris, 1853.

« Leur vie, toute animale, les dispose aux voluptés sensuelles comme la gloutonnerie, l’ivrognerie, le sommeil, l’amour…Ils grimpent, sautent sur la corde, voltigent avec une facilité merveilleuse et qui n’est égalée que par les singes, leurs compatriotes, et peut être leurs anciens frères selon l’ordre de la nature.»  Julien Joseph Virey dans « Histoire naturelle du genre humain », Paris, 1827.

Avec leurs positions, l'intelligentsia, les courants et les relais d'opinions de la période des Lumières se sont positionnés de facto, en fournisseurs de la caution morale, éthique, théologique, scientifique, philosophique, politique, économique.., de sorte que le Français et l'Européen lambda se sentissent absolument déchargés de tout poids ou sentiment de culpabilité sur leur conscience. Et cela a fonctionné à merveille : la déshumanisation, l'animalisation, l'abêtisation et chosification ont, le plus naturellement du monde, conduit à la confusion de l'être Noir au simple objet d'exploitation, outil de travail et article de marchandises5. Ce fut, pendant des siècles, une conviction communément partagée et des actes légalement et consciencieusement défendus par les hommes et les femmes de très grande valeur pour leurs contemporains.

L'attitude de l'intelligentsia et des médias français face au scandaleux Exhibit B, démontre si besoin était, que cet état d'esprit de leur prédécesseurs inspire encore aujourd'hui la conduite des nations et des générations françaises et européennes à l'égard des Noirs. C'est également sous leurs lumières que pendant tout le 19ème siècle jusqu'en 1958 date de la dernière exposition en Belgique, les entrepreneurs européens avec l'appui des pouvoirs publics ont organisé des zoos humains6 à travers toute l'Europe. Où, au milieu de la faune et de la flore africaines reconstituées, on exhibait les Nègres et les Indigènes des autres parties du monde, dans des conditions que les organisateurs voulaient que ces gens fussent vus pour que cela restât l'image la plus forte et la plus frappante qui pût imprégner l'esprit du spectateur. C'est à dire, les conditions les plus dégradantes et les plus humiliantes possibles. L'abomination!

Être exposé dans une cage ou un enclos suffit en soi pour humilier un être humain. Mais il fallait en plus leur faire jouer des numéros de rôles dégradants pour forcer le trait.

Et voilà qu'en cette fin d'année 2014, on nous remet le couvert. On nous refait les zoos humains, dans l'esprit des années fastes de cette entreprise immonde, où l'on exhibe les Noirs. Lors des expositions coloniales - personne ne se posait la question vraiment ni ne s'opposait à ce projet - la justification était de montrer aux publics français et européen les bienfaits de la civilisation apportée à ces sauvages. Mais il pouvait y avoir des objectifs non avoués d'ordre politique et économique : comme par exemple montrer en miniature la puissance et l'étendue de l'empire colonial. Ou, sur le plan économique, le fait d'escompter d'engranger beaucoup de bénéfices, grâce à l'engouement des populations que n'allait pas manquer de susciter leur curiosité, à l'égard de ces créatures bizarres et étranges ramenées à la civilisation de l'humanité par le génie colonial.

En raison de l'image, de l'opinion et de la réputation appliquées au Noir, déjà gravées dans la mentalité européenne grâce au travail remarquable de l'intelligentsia, des courants et des relais d'opinions dont les médias, ces exhibitions étaient déjà considérées comme de l'art. Des performances artistiques, des spectacles de divertissements. Les exposants faisaient de l'art. Les exposés des artistes, des figurants.

Aujourd'hui en 2014, au 21ème siècle, un entrepreneur artiste du nom de Brett Bailey refait les mêmes spectacles avec un mobile et un objectif visiblement différents, si l'on en croit sa profession de foi : Exhibit B n'aurait pour but que de dénoncer le racisme. On veut bien croire à sa sincérité. L'ennui est que pour dénoncer le racisme, il utilise les mécanismes, les clichés, les préjugés et les images qui ont généré, légitimé et popularisé le racisme dans la mentalité et les opinions européennes. C'est comme si, pour dénoncer les horreurs des chambres à gaz, il nous reconstituait des tableaux vivants des meurtres dans ces dernières. Certains se sont offusqués qu'un porte-parole du collectif anti-Exhibit B, l'artiste Bams, ait parlé de Mein Kampf dans le contexte d'Exhibit B. Mais l'esclavage et la colonisation ont été notre Mein Kampf. Les expositions coloniales, un de ses chapitres. On retrouve encore et toujours poindre, dans leur arrière-pensée, cette idée qu'aucune horreur ni aucune abomination ne peut suffire pour le Nègre.

Pendant les périodes des razzias et des déportations des Africains dans les univers concentrationnaires de l'esclavage, pendant ce dernier comme pendant la colonisation, de nombreux Noirs ont protesté, résisté et lutté contre les traitements et les sévices inhumains que leur réservaient les esclavagistes et les colons : Haïti s'est libéré. Bien avant Haïti, des milliers de nègres marrons avaient brisé les chaînes de l'esclavage. En Afrique, tous les royaumes ont opposé la résistance jusqu'à leur défaite. À chaque époque, les intellectuels, les artistes et les citoyens ne sont pas restés spectateurs non plus. Ils ont répondu à leurs oppresseurs et dénoncé leurs méfaits. De Toussaint Louverture à Mandela, de Anténor Firmin à Aimé Césaire, de Chaka Zulu à Gbagbo, jamais les Noirs ne se sont laissés prendre et soumettre comme des colombes ou des moutons. Il a toujours fallu un déchaînement d'une rare cruauté de la part des esclavagistes et des colons pour les faire taire et plier. Or, dans l'image que les héritiers des Lumières veulent perpétuer de leurs victimes et des descendants de ces dernières, il n'est pas questions de ces héros qui se sont battus contre l'infamie et les abominations absolues. Ils font comme si les Noirs ont toujours été consentants et collaborateurs à leur sort peu enviable de rebuts de l'humanité.

Comme hier, pourtant, aujourd'hui en 2014, des dizaines de milliers de noirs ont protesté, par des manifestations devant le TGP, lieu d'exposition, ou par la signature de pétitions contre le spectacle Exhibit B de Brett Bailey. Mais au lieu d'entendre leur souffrance, on leur envoie la police pour les réprimer, pendant que intelligentsia et les médias s'occupent de la banalisation de leur combat. On fait comme s'ils n'ont aucune raison de se battre et de résister. On arrive même à renverser la situation en les traitant d'extrémistes noirs ou de racistes « anti-blancs7! » Un comble !

Brett Bailey a beaucoup de chance. Il n'est pas un homme isolé comme les Noirs dans leur détresse. Il a l'intelligentsia, les courants et relais d'opinions ainsi que les médias français, avec lui. Ces derniers assument sans complexe leur héritage et la continuité raciste de l'idéologie des Lumières. L'argument imparable qu'ils ont trouvé est que Brett Bailey est un artiste qui fait de l'art et qu'on ne peut songer, un seul instant, censurer une œuvre d'art en France. De plus, ce serait un crime, un mauvais précédent, contre la liberté d'expression !

Mais il y a un souci ! Un grand malaise devant cette affirmation : en début de cette année, la France entière et le monde ont été secoués par une histoire rocambolesque d'un geste grotesque dit de la « quenelle », une performance artistique contestataire initiée et promue par l'humoriste Dieudonné. Jugé antisémite par les mêmes qui encensent et défendent aujourd'hui Brett Bailey, la quasi-totalité des autorités politiques, intellectuelles, médiatiques, artistiques, associatives...tout ce que compte la France de voix autorisées, ont condamné la « quenelle ». Des centaines de français ont perdu leur emploi, d'autres ont été agressés, d'autres encore arrêtés, jugés et condamnés à la prison. L'état français a déployé des moyens considérables pour persécuter cet artiste, jusqu'à mobiliser les tribunaux administratifs pour interdire les spectacles de ce dernier. Le 9 janvier 2014, sur saisine du ministre de l'intérieur, en procédure d'urgence, le juge du Conseil d’État va même jusqu'à prendre un arrêt de proscription desdits spectacles pour motif que la quenelle porte « (…) atteinte au respect des valeurs et principes, notamment de dignité de la personne humaine, consacrés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et par la tradition républicaine.»

Mais pour la dignité des Noirs, ils attendront encore. Après tout, ce ne sont pas eux qui jugent ce qui est digne ou indigne pour eux. Mais il y a une certaine cohérence dans cette décision : la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n'a jamais concerné les Nègres dès sa genèse.

L'histoire récente de la France souffre de trois passifs importants qui ont généré des victimes et des mémoires : l'esclavage, la colonisation et la shoah. Nous apprenons, tous les jours, de l'intelligentsia et des médias que la mémoire est « sacrée » et que la liberté d'expression s'arrête même, dès lors que « la mémoire d'une communauté est piétinée ». Or, nous constatons, à chaque occasion appropriée, que la mémoire de l'esclavage et de la colonisation est systématiquement piétinée aussi bien par les individus que par les institutions censées garantir l'égalité, la justice et l'équité entre les enfants de la république et la coexistence pacifique entre les communautés et les peuples.

La posture de l'intelligentsia et des médias français qui apportent leur soutien8 à Brett Bailey et à son spectacle Exhibit B en invoquant la liberté d'expression et l'opposition de principe à la censure des œuvres artistiques est un mensonge et une hypocrisie dans la mesure où elle n'est pas totalement sincère : en d'autres occasions, ils ont déjà appelé à la censure et au lynchage d'un artiste reconnu en France. Leur humanisme est à géométrie variable entre les cloisons. Un art qui dégrade et humilie l'être humain n'est pas un art, c'est de la diffamation, de l'injure, de l'humiliation, de la provocation et de l'attentat volontaires. Même sous prétexte de dénoncer le mal, il reste un acte aux intentions malsaines. Peut-on imaginer dénoncer la pédophilie en organisant des tableaux vivants des pédophiles dans leurs ébats avec des enfants?

On est bien forcé de croire à la seule conclusion qui s'impose : dans la droite ligne de leurs illustres prédécesseurs des Lumières, l'intelligentsia, les courants et les relais d'opinions, ainsi que les médias français assument9 sans complexe le racisme traditionnel hérité de grands hommes qui ont fait la république. Les victimes des humiliations et du racisme remontant du fond des temps esclavagistes et coloniaux comprennent bien maintenant que le combat n'est pas terminé. Ils auraient bien aimé croire le contraire. Mais ils se rendent compte, malheureusement, que les héritiers des esclavagistes et des colons veillent au grain et perpétuent la tradition de leurs pères. Nos pères ont gagné des batailles importantes face à leurs oppresseurs et bourreaux. Nous devons continuer le combat pour faire triompher l'humanisme contre la barbarie perpétuellement perpétrée contre nous.


1 B. de Las Casas (Séville 1474, Madrid 1566) prêtre dominicain, missionnaire, écrivain et historien espagnol, il a dénoncé très justement le génocide des Naturels du continent américain et suggéré la capture, la déportation et la mise en esclavage les Noirs.
2 Le Pape Nicolas V (de son vrai nom Tomaso Parentucelli, 1397-1455)  publia en janvier 1454 une bulle qui accordait au Roi Alfonso du Portugal, entre autres privilèges : (…)  la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les sarrasins, païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle; de s’attribuer, à eux [le Roi Alphonse et l'Infant] et à leur successeurs, et de s'approprier et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrées, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins et païens. » Pour aller plus loin, lire : Assani Fassassi, Le Péché du Pape contre l'AfriqueÉditions Al qalam, Paris, 2002
3 Joseph Arthur de Gobineau, dit le comte de Gobineau (1816 – 1882), diplomate et écrivain français. Écrits importants :  Essai sur l'inégalité des races humaines (1853 - 1855)
4 Les Lumières est un mouvement intellectuel lancé en France au 18ème siècle d'où sont sortis les grands savants et intellectuels français aujourd'hui célébrés dans le monde entier.
5 Pour aller plus loin, voir et lire :
-Louis Sala-Molins, Le code noir ou le calvaire du Canaan, PUF, 2006
6 Pour aller plus loin :
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Laurent GERVEREAU, Images et colonies (1880-1962), Iconographie et
propagande coloniale sur l’Afrique Française de 1880 à 1962, Paris, BDIC-ACHAC, 1993.
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Sandrine LEMAIRE, Ces zoos humains de la République coloniale, in Le
Monde Diplomatique, Août 2000.
Nicolas BANCEL, Pascal BLANCHARD, Sandrine LEMAIRE, Zoos humains. De la Vénus hottentote aux reality
shows, Paris, La Découverte, 2002.
Raoul GIRARDET, L’Idée coloniale en France, rééd. Paris, Hachette coll. 
« Pluriel », 1986.
7 Depuis plus d'une dizaine d'années, est apparue, en France, sous la houlette de gens comme Bernard Kouchner, Alain Finkelkraut, Eric Zemmour, et beaucoup d'autres, une théorie bizarre, un fantasme, en somme, de « racisme anti-blanc » qui serait dirigé contre les Blancs comme son nom l'indique et serait le fait des immigrés, notamment les Noirs et les Arabes. Nous disons que c'est un fantasme, dans la mesure où aucun Noir n'a jamais proposé ni préconisé la hiérarchie des « races » humaines. Le racisme est une croyance en la supériorité et l'infériorité congénitales des uns et des autres. Ce concept a été théorisé et développé par les savants européens. Quelle a été la position de l'intelligentsia noire face aux théories de la hiérarchisation des « races » d'un Gobineau par exemple ? Lire : Firmin Anténor, De l'égalité des races humaines, Librairie Cotillon de Paris, 1885
8 Communiqué de la LDH, de la Licra et du Mrap : Exhibit B : un spectacle qui ne doit pas être interdit ou annulé ! (http://www.mrap.fr/exhibit-b-un-spectacle-qui-ne-doit-pas-etre-interdit-ou-annule)
On se souviendra du fameux discours de Dakar de Nicolas Sarkozy, alors président de la République française, le 26 juillet 2007 sur l'homme africain : « (…) Le drame de l'Afrique, c'est que l'homme africain n'est pas assez entré dans l'histoire. Le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l'idéal de vie est d'être en harmonie avec la nature, ne connaît que l'éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles (…) . »

mardi 2 décembre 2014

#BoycottHumanZoo II : À LA CULTURE DE NOTRE SERVITUDE, par PO LOMAMI et Mrs ROOTS

#BoycottHumanZoo II : À LA CULTURE DE NOTRE SERVITUDE, par PO LOMAMI et Mrs ROOTS

L'INTÉGRALITÉ DE L'ARICLE SUR LE BLOG DE L'AUTEUR

Après les nombreuses discussions sur le net et les articles éparses et discrets sur le sujet, Mrs Roots et moi-même avons décidé de rédiger cet article sur Exhibit B. Ce dernier est publié en 2 parties : l’une qui est lisible sur le blog de Mrs Roots et la seconde qui va suivre ci-dessous. Nous informons que même si la rédaction de ces deux parties est faite par deux personnes (la première davantage par Roots, la deuxième par Po), nous en soutenons toutes les deux le contenu. Il n’est donc pas question ici de points de vue séparés mais bien d’un malaise et d’une colère commune. C’est pour cela que nous les signons ensemble.

Première partie ici
#BoycottHumanZoo I : le racisme s’invite au musée

3) Notre histoire au service de votre culture pour tous

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Nous nous trouvons dans un cas de plus d’appropriation de notre histoire, nos représentations et nos luttes. Il nous reste à trouver la force pour faire émerger cette question de l’appropriation. Ce qui est menacé, ce sont nos aspirations à une autonomie politique et culturelle où des personnes blanches n’auront pas ce pouvoir de s’emparer systématiquement de nos luttes. Notre autonomie, c’est aussi également la seule chose qui menace réellement un système raciste. Le retrait de la perfusion de poison qui nous ait administrée depuis trop longtemps, pour reprendre des termes de notre amie Amandine Gay, « ce poison qui nous dicte de tourner la face et le corps vers leur soleil, nous laissant dans les ténèbres ».

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Bailey aspire notre histoires, nos représentations, nos émotions, notre énergie. Il met à mal ce que nous devrions allouer à notre survie, à notre construction, à notre futur. Il était interdit aux esclaves d’apprendre à lire et écrire ni de se rassembler sans la présence d’une personne blanche afin d’éviter toutes velléités émancipatrices. Cette intrusion dans nos espaces symboliques imaginaires comme matériels est un prolongement de ceci. Si Bailey dit comprendre le lien entre le zoo humain et les centres de détention d’immigré·e·s, nous l’invitons à pousser la réflexion sur son propre comportement et son travail. La présence blanche a constamment envahi nos espaces et pris nos sujets de lutte pour les définir selon ses conditions et volontés. Bailey reproduit un privilège blanc où les personnes noir·e·s sont maintenues sous tutelles. Dénoncer ces méthodes nous places dans la position du·de la marginal·e qui menace, la civilisation ou, comme ici, la culture. Il est l’exemple type de la personne qui se présente et se croit alliée alors qu’elle exerce une tutelle mentale et se croit dans la liberté de le faire. Nous nous interrogeons donc encore plus sur cet engagement qu’il prétend servir.


#BoycottHumanZoo I : LE RACISME S'INVITE AU MUSÉE Posted on October 14, 2014 by Mrs ROOTS


#BoycottHumanZoo I : le racisme s’invite au musée Posted on October 14, 2014 by Mrs ROOTS et PO LOMAMI

EXTRAIT DE L'ARTICLE À LIRE INTÉGRALEMENT SUR LE BLOG DE L'AUTEUR

Après les nombreuses discussions sur le net et les articles éparses et discrets sur le sujet, Po Lomami et moi-même avons décidé de rédiger cet article sur Exhibit B. Ce dernier sera publié en 2 parties : l’une qui va suivre ci-dessous et la seconde, qui sera publiée dans 3 jours sur le site de Po. Malgré les deux plateformes, nous indiquerons bien sûr les liens de chaque partie pour l’unité de cet article, et maintenons que la rédaction de ce dernier s’est fait à quatre mains. Il n’est donc pas question ici de points de vue séparés mais bien d’un malaise et d’une colère commune.
Nous devons l’avouer, il nous a fallu un moment.
Il nous a fallu un long moment, les pas traînants, pour accepter de prendre le temps de nous asseoir, de regarder droit dans les yeux ce qui est en train de nous tomber dessus, de traduire notre colère dans sur ces pages, d’articuler nos différentes optiques, l’une de nous évoluant dans une perspective vegan et antispéciste,  et faire face à la promotion de cette nouvelle “oeuvre”, beaucoup de temps pour réaliser qu’aujourd’hui, en 2014, on nous demande de prendre place comme spectateur pour regarder une personne noire, comme nous, derrière une cage, au nom de l’Art. Il nous a fallu aussi du temps pour comprendre que tout cela était réel. C’est-à-dire que, de tous les spectacles, performances, scènes, films que nous avons vus, de tous ces champs publics dont nous étions bien absents et effacés, nous ne nous attendions pas à ce que l’Art se penche sur notre cas pour aller aussi loin. On était déjà bien habituées à la mise en avant de notre capital exotique sur lequel beaucoup d’institutions muséales se reposent. Tout au plus, on commençait à s’habituer à ce que la “Vénus  Hottentote” demeure cette douleur sans nom, femme que l’on nomme comme exemple de l’animalisation du corps noir jusqu’à la dissection de ses organes génitaux, mais dont la barbarie de son sort ne pointe pas les auteurs.
Oui, à la limite, dans une fresque toujours tronquée, à la représentativité caricaturale et bancale, on ne s’attendait pas à voir un jour la promotion d’une oeuvre telle que celle de Brett Bailey :
“Des femmes en cage, des hommes enchaînés. Voici quelques-uns des tableaux vivants qui seront présentés dans l’exposition Exhibit B à l’espace 104 à Paris du 7 au 14 décembre 2014. L’artiste sud-africain Brett Bailey a choisi pour thème notre passé colonial”
“Notre passé colonial”. Un “notre” bien hypocrite quand il s’articule uniquement sur la servitude des corps noirs pour une exposition au musée. Voilà donc plusieurs jours que cette exposition est questionnée sur son racisme. A peine daigne-t-on soulever l’annulation de cette même exposition outre-manche, il nous revient d’anticiper les cris à la censure et à la liberté d’expression ; soit une liberté qui se complaît dans le dénigrement et le rabaissement des mêmes minorités ethniques dans l’espace médiatique.
Ainsi, l’Art serait une raison suffisante, une terre assez sainte et sacrée pour échapper à ce qui imprègne toute une société. Il serait le terrain neutre des rapports de force dans une société occidentale profondément marquée par son refus d’entendre parler de la race, préférant voir un antiracisme sans queue ni tête dans le fait de ne pas prononcer le mot “noir” et de “ne pas voir les couleurs des autres“. Ce perpétuel effacement d’enjeux sociaux liés à la race a de lourdes conséquences.
C’est ce qui permet aujourd’hui d’entendre des personnes s’accorder sur la connotation raciale des corps noirs dans cette oeuvre et qui  refusent en même temps d’inclure la couleur de l’artiste dans l’équation.  Aujourd’hui encore, le blanc est une couleur que l’on ne peut nommer.
C’est ce qui permet aujourd’hui aux défenseurs de cette oeuvre de soutenir qu’il y a dénonciation du racisme, alors qu’ils nient ce qu’en pensent les premières victimes : les diasporas noires, donc.

LIRE L'INTÉGRALITÉ DE L'ARTICLE SUR LE SITE DE MRS ROOTS

Po Lomami et Mrs Roots


Seconde partie :
#BoycottHumanZoo II : à la culture de notre servitude


 Pour aller plus loin :


Contribution: Exhibit B is one mans desire to exhibit racisim and the rise of Neo Liberalism, par ANGRY BLACK WOMAN, Londres

Contribution: Exhibit B is one mans desire to exhibit racisim and the rise of Neo Liberalism, par  ANGRY BLACK WOMAN, Londres


Usually I can put pen to paper about most subjects, especially those I feel really passionate about. However I literally haven’t been able to write about Exhibit B because it was simply to overwhelming. I wish in this moment that I could intellectualize and do word gymnastics about the whole Exhibit B experience but I can’t so I will just write as though I am having a conversation with you, and hopefully you will see why it was so important and why we must continue the right against racisim in all mediums. I couldn’t make sense of the hostility towards us as protesters, I felt like those in favour were shouting “what is wrong with you”, the issue was me or us we “misunderstood” we “didn’t get it” “we needed to see it to experience it”.  Now Bailey laments over the images published…erm, mate you had YouTube video’s going back a year ago, but like Kermit, that is none of my business! All I do know is 43,000 people (UK and France petitions combined) totally understand that Exhibit was pure indulgence in the massaging of white conscience. As with institutional oppression the  victims became the victimized, not Bailey’s desire to chain and shackle Black People in cages, masquerading as anti racist art. We were the issue, with our “pro censorship”, “anti freedom of speech” selves. “Trying to still the voice of Black (unemployed) actors” and silencing “a world renowned artist” whose art was “incredibly important” as to who this work is important to, is still a BIG QUESTION!!!! We were “a hysterical unruly mob”, yet  in July just one month before #boycottthehumanzoo, the Fringe Festival cancelled an Israeli show due to boycotts, they were not called “an unruly mob” or “violent protesters” no, it was pleasantly reported about, like business as usual… moving on.
Anti-racism protesters lock arms outside the Vaults in London in opposition to ‘Exhibit B’. 23 September 2014. Photograph: © Thabo Jaiyesimi.
Anti-racism protesters lock arms outside the Vaults in London in opposition to ‘Exhibit B’. 23 September 2014. Photograph: © Thabo Jaiyesimi.

Yes we were successful in our protest, it was the Barbican that decided to cancel the show not the protesters, we simply exercised our human right to protest, and protest we did! We did loudly and proudly with our spirituality and our drums, we called on our ancestors, in unity, it was a beautiful experience. Not one arrest, no criminal damage, we let our disgust and offence be known, and I would most definitely do it again. Oh yes the mainstream media tried to make out we were “violent angry thugs”, the Barbican decided the reasons they cancelled were due to public safety, which was a lie. No worries we came, we conquered and that was good enough for us…but it did not stop there. Suddenly we now had to defend ourselves against the new racist the Neo Liberal, and trust me the Neo-Liberal can be both Black and White, the person who snipes and declares “they (us) don’t speak for me”.  a well known author who proudly hold an MBE called the supporters “Disciples of Sara Myers”, the 23,000 people who signed the petition in the UK simply did not have their own mind to see racisim for what racisim is? Really? I think the for the most part, many saw that unnatural desire to flaunt white privilege in the face of others,  like the Emperor with his new clothes were willing to say openly “he has no clothes on” Those Neo liberals defending Exhibit B were those who had vested interests and ladder kickers who did not want us to upset the status quo, but that is what we came to do and that is what we did.

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Contribution: EXHIBER LES CORPS NOIRS ET FAIRE TAIRE LES VIVANTS, par Laurent SOREL



Exhiber les corps noirs et faire taire les vivants

Brett Bailey peut être rassuré. Responsables politiques, institutions culturelles et même des associations antiracistes convenables se bousculent pour dire tout le bien qu’ils pensent de lui et d’Exhibit B. Mais Brett Bailey peut aussi être inquiet, la colère monte chez les afro-descendants et chez certains antiracistes contre cette exposition. Il y a déjà 20000 signataires pour la déprogrammation de son spectacle[i] et entre jeudi et dimanche, plusieurs centaines de personnes pour la plupart noir-e-s, ont manifesté à chaque représentation devant le théâtre, en ayant même réussi le premier soir à annuler le spectacle.

Recréer des zoos humains pour dénoncer le racisme ?

Exhibit B est une « installation-performance qui met en scène en douze tableaux vivants », des acteurs noirs, immobiles et muets, dans diverses positions dégradantes, certains attachés, enchainés, d’autres seins nus. Brett Bailey prétends qu’en reproduisant la mise en scène des zoos humains racistes avec des acteurs noirs, il se produit « un retournement de l’expérience»[ii]  et qu’Exhibit B atteint son but qui est de dénoncer le racisme dont ont été et sont encore victimes les Noirs. Une telle démarche de sublimation des violences racistes est donc forcément ambigüe et il ne faut pas s’étonner, que certains, même sans avoir vu l’installation aient de sérieux doutes sur la portée du message.

« Taisez-vous, payez votre obole et venez communier avec nous ! »

Mais pour Mr Jean Bellorini et José Manuel Gonçalvès, directeurs respectifs du théâtre Gérard Philippe et du 104, les 2 lieux où a lieu la performance, « on ne peut pas juger d’une œuvre sans l’avoir vu »[iii]. C’est évidemment faux. Mais ils ne veulent rien savoir et refusent tout débat contradictoire avec les opposants. L’objectif est de  faire taire et de délégitimer par avance celles et ceux qui pensent que ce « spectacle » au lieu de combattre le racisme y contribue. Taisez-vous, payez votre obole et venez communiez avec nous pour ressentir cette « émotion propre à la force de ce spectacle vivant»[iv] nous disent-ils.  Amen !
Bien sûr, pour juger des qualités purement esthétiques du spectacle, il est nécessaire d’avoir vu l’installation. Mais pour  juger du discours politique véhiculé par Exhibit B, nous avons suffisamment de témoignages d’acteurs noirs de Exhibit B, de spectateurs, ainsi que d’interviews de Brett Bailey lui-même, et de photos de l’exposition pour nous faire un avis précis. Mais tout cela, ils le savent bien évidemment comme ils doivent aussi savoir que l’esthétique et le politique sont intimement liés dans une œuvre d’art et qu’on ne peut trouver belle une œuvre qu’on juge raciste.

Un antiracisme paternaliste et compassionnel

Une chose est sure, la multiplication des arguments malhonnêtes, la violence des accusations portées contre celles et ceux qui se mobilisent contre cette performance en dit beaucoup sur certains défenseurs d’Exhibit B. Quand Mme Hidalgo, la maire de Paris à propos des opposants parle d’ «obscurantisme»[v], quand Mme Fleur Pellerin, la ministre de la culture, parle d’ «amalgames» et d’ «intolérance »[vi], quand la Licra, le Mrap et la Ldh, disent qu’on fait « un procès d’intention à l’artiste au motif qu’il est blanc »[vii], ils mettent à nu leur antiracisme frelaté en cherchant à écraser et à délégitimer les révoltes de nombreux-ses racisé-e-s  qui se sentent humilié-e-s, chosifié-e-s et méprisé-e-s par Exhibit B. On attendrait d’eux au moins un peu de pudeur !
Mais ils sont probablement trop imprégnés par la noblesse de leur cause pour se rendre compte qu’ils finissent par composer eux-mêmes à nos yeux autant de tableaux vivants d’une installation-performance mettant à nu leur propre antiracisme paternaliste et compassionnel.
Pour éviter tout faux procès, personne ne conteste à Brett Bailey, le droit parce qu’il est blanc, de dénoncer le racisme. Le prétendre comme le font la Licra, le Mrap, et la Ldh, c’est reprendre à son compte les discours détestables et éculés sur un prétendu racisme anti-blanc, argument utilisé jusqu’à l’écœurement par ceux qui veulent relativiser le racisme, voir couvrir leur propre racisme.
Non, ce qui est reproché à Brett Bailey ce n’est pas d’être blanc mais  de prétendre à une position de neutralité, lui l’artiste blanc faisant travailler des figurants noirs, dans une exposition censée démonter les ressorts racistes de la société.  
Qu’il le veuille ou non, il ne parle pas de la même position qu’un-e racisé-e qui dénonce le racisme.  Brett Bailey en refusant d’admettre cela, prétends pouvoir ressentir et expérimenter le racisme de la même manière que nous, ce qui revient  à vouloir s’approprier notre subjectivité et à vouloir déterminer à notre place les chemins de notre émancipation.  Au final, ce paternalisme antiraciste, au lieu de déconstruire les préjugés racistes les redouble et les alimente.
Bref, il ne s’agit pas comme l’affirme Jean Louis Anselle avec une évidente mauvaise foi, de « revendiquer le monopole de la représentation des « Noirs » par un Noir et l’illégitimité d’un Blanc à le faire »[viii]. Mais de critiquer la manière dont le fait Brett Bailey, sans s’interroger simultanément sur ce que ça veut dire qu’être un artiste blanc faisant travailler des figurants noirs et plus généralement sur ce qu’est être blanc dans cette société.


Une œuvre antiraciste peut être raciste

Brett Bailey et ses défenseurs cherchent à s’en tirer à bon compte en prétendant que finalement seule l’intention compte quand il est question d’antiracisme et qu’ici précisément, on ne peut accuser ce spectacle d’être raciste puisque que l’intention antiraciste est clairement affichée. Sauf que l’antiracisme n’est pas simplement de l’affichage à la « United Colors of Benetton ».  Se dire antiraciste et même le crier sur les toits n’a jamais protégé quiconque d’avoir des préjugés, des comportements ou des représentations racistes. S’il suffisait d’ailleurs d’afficher ses intentions pour clore le débat, quasiment aucune accusation de racisme ne tiendrait, tout le monde ou presque désormais, y compris au FN, portant en bandoulière son antiracisme.
Cela étant, Brett Bailey est probablement de bonne foi et cela doit certainement nous amener à faire la différence entre lui et un sympathisant du FN. Sauf que personne n’a envie de perdre son temps à rechercher dans sa tête les preuves de son racisme ou de son antiracisme. Non, la seule question qui compte ici, c’est de savoir  si Exhibit B, au-delà même de ce que l’artiste a voulu faire et de ce qu’il en pense lui-même, contribue ou non à véhiculer des représentations racistes.
Et nous sommes un  certain nombre à penser que cette exposition qui se veut antiraciste est au final raciste. Et nous disons cela sans oublier que certains acteurs noirs du spectacle, certains militants antiracistes et même certains rares spectateurs noirs semblent considérer que ce n’est pas le cas. Donc cela se discute probablement comme à peu près tout d’ailleurs. Mais le fait que de nombreux militants noirs antiracistes se mobilisent contre cette exposition, le fait qu’il y avait plus de 90% de manifestants noirs devant le Théâtre Gérard Philippe plusieurs soirs de suite, le fait que certains antiracistes blancs soient solidaires devrait au minimum  interroger ceux qui récusent ces accusations, eux qui prétendent être attentifs aux voix des discriminé-e-s.

Expliquer ce qui est évident pour nous

Mais rentrons un peu dans les détails puisqu’il faut prendre le temps d’expliquer ce qui m’a sauté aux yeux dès le départ.
Brett Bailey, comme le dit très justement « Mrs Roots », fait du corps noir une performance, comme il en était question déjà à l’époque coloniale » [ix] Comme un écho à la période de l’esclavage, Il fait commerce des corps noirs et monnaye l’émotion de spectateurs majoritairement blancs.  Pour lui, ces corps ne sont qu’un prétexte à un exercice de « repentance » et d’ « autoflagellation »[x] morbide qui enferme les Noirs dans le piège d’un antiracisme compassionnel et paternaliste qui vise davantage à soulager la mauvaise conscience des blancs qu’à aider à l’émancipation des Noirs. Et il fait disparaitre tout le reste. Il ne dit rien explicitement sur l’identité des oppresseurs et sur la nature des rapports sociaux qui produisent ce racisme alors qu’il expose dans des pays majoritairement blancs où les racisé-e-s sont maintenu-e-s dans une position subalterne. Venant redoubler les rapports sociaux racistes dans ces pays, Exhibit B maintient les acteurs noirs dans une position passive, d’éternelles victimes. Immobiles, muets, dans des positions humiliantes, les figurants noirs incapables de se libérer eux-mêmes cherchent symboliquement à susciter la pitié et l’indignation chez les spectateurs très majoritairement blancs pour qu’ils les libèrent.
On comprend facilement que certains spectateurs blancs (heureusement pas tous !) aient ressenti une profonde émotion à la vue de ce spectacle. Pour certains d’entre eux, incapables de prendre du recul sur l’ambivalence du message, l’émotion remplace toute réflexion critique, et ils se laissent griser par l’idée que le destin de ces pauvres noirs dépends tout entier de leur générosité désintéressée.
Mais est-il si difficile de comprendre que de nombreux noir-e-s à l’inverse peuvent se sentir humilié-e-s et chosifié-e-s par une telle exposition et le manifestent bruyamment ? Ou est-ce que l’empathie ressentie pour les acteurs noirs de l’installation n’est valable que lorsque les racisé-e-s sont muet-tes et attaché-e-s et jouent le rôle qu’on leur assigne ? Il est vrai que lorsque nous parlons et cherchons par nous-mêmes les voies de notre émancipation, il peut nous arriver de contredire certains antiracistes affichés. Et pour ceux qui ont l’habitude de se penser comme les marionnettistes et les ventriloques de nos révoltes, c’est forcément insupportable.
Personne n’interdit aux blancs de se mobiliser contre le racisme, au contraire même. D’ailleurs, il y en avait manifestant devant le théâtre Gérard Phillipe, d’ailleurs il y en a dans le collectif contre Exhibit B et parmi les signataires et personne n’a contesté  leur légitimité  à s’engager aux côté des racisé-e-s. A condition que ce soit justement aux côté de et pas à la place de, en cherchant à nous dicter les conditions de notre émancipation quitte à nous faire taire comme Brett Bailey le fait avec ses acteurs pour parler à notre place.

Pas d’immunité artistique face aux révoltes antiracistes

Après il restera toujours l’argument de la liberté artistique, me direz-vous. Mme Hidalgo et Mme Fleur Pellerin, représentantes d’une gauche qui a renoncé à tous les combats émancipateurs, au nom d’un faux pragmatisme néo-libérale et populiste ont trouvé là semble-t-il une grande cause à défendre. Il faut les comprendre, elles n’en n’ont plus tant que ça. Les expressions sont grandiloquentes, l’émotion palpable. Il s’agit rien de moins que de sauver à la fois l’Art et la République ainsi que probablement la civilisation toute entière face aux  « censeurs » obscurantistes.
Oui, la liberté artistique doit rester un principe à défendre en particulier face à ceux qui ont le pouvoir de censurer ou de domestiquer l’art, à savoir les dirigeants politiques et le pouvoir économique. Parce que l’art, comme le dit Henri Lefebvre  permet de « penser l’impossible pour saisir tout le champ du possible ». Parce que la créativité artistique permet d’ouvrir des brèches dans l’ordre du monde. Mais en même temps, l’art n’est pas hors sol, l’artiste lui-même est aussi le produit d’un contexte social et économique et ne peut donc prétendre à l’immunité politique face aux critiques. L’œuvre d’art dialogue forcément avec le monde qui l’entoure. Elle ne fait pas que dire, elle se nourrit du réel. Vouloir faire de l’œuvre d’art un espace sacré, étanche au monde, c’est au final l’empailler en tuant en elle l’essentiel, sa capacité à dialoguer avec le réel et à émanciper celui qui crée et celui qui regarde. C’est pour cela que Brett Bailey ne peut demander l’asile politique au sein du champ artistique face aux critiques.  Il expose dans des lieux publics, dans des territoires qui ont une histoire. Quand la liberté de l’artiste d’exposer se heurte comme ici à la mobilisation et à la colère émancipatrice de discriminé-e-s et d’exploité-e-s, ceux qui justement n’ont pas le pouvoir de censurer, on ne peut pas résoudre cette contradiction entre deux principes au seul profit de la liberté d’exposer de Brett Bailey.
Surtout quand cette liberté d’exposer passe par l’intervention de CRS casqués, bottés qui avec la bénédiction de Mr Jean Bellorini, ont matraqué et gazé des manifestants majoritairement noirs pour que des spectateurs majoritairement blancs puissent aller voir le spectacle sans être dérangés. Cette violence physique et symbolique insupportable qui reproduit les mécanismes d’exclusion et de répression racistes à l’œuvre dans la société vient porter le coup de grâce à Exhibit B en démasquant son antiracisme de pacotille et en rendant caduc tout appel à respecter la liberté d’exposer de Brett Bailey.
Et cela d’autant plus, quand dans le même temps, rien ou quasiment rien n’est fait pour qu’au Théâtre Gérard Philippe au cœur du 93, comme dans d’autres établissements culturels, les artistes non-blancs puissent eux-aussi exprimer leur subjectivité sur leur propre histoire et sur leur propre expérience.  
Rendez-vous est désormais pris devant le « 104 » à Paris à partir du 7 décembre. Ce sera probablement une occasion de plus de constater comme Eric Fassin que « deux antiracismes s’affrontent aujourd’hui dans une incompréhension mutuelle »[xi]. Ce n’est pas une nouveauté. Mais ce que ne nous dit pas clairement Eric Fassin ici, c’est comment et sur quelle base unifier l’antiracisme face à la montée d’un racisme de plus en plus brutal. Disons-le clairement, ce ne sont pas les manifestant-e-s contre Exhibit B qui divisent et l’unification nécessaire pour faire reculer le racisme ne pourra pas se faire sur le dos des  racisé-e-s. Ce qui veut dire concrètement que si elle doit se faire, ce n’est pas à l’intérieur du « 104 » avec comme décor les corps noirs immobiles et muets mais dehors avec les manifestant-e-s noir-e-s agité-e-s et bruyant-e-s chantant « dignité » et « respect » et exigeant la déprogrammation d’Exhibit B.
Quant à Brett Bailey, s’il veut vraiment déconstruire le racisme, qu’il se fasse  figurant pour une fois, qu’il donne son carnet d’adresse, ses entrées dans le monde de l’art à des artistes noir-e-s pour qu’ils se fassent eux aussi un nom et qu’il « rentre dans la cage » à leur place.

                                                                                                       Laurent Sorel




[i] https://www.change.org/p/centre-104-th%C3%A9%C3%A2tre-g%C3%A9rard-philipe-d%C3%A9programmer-le-zoo-humain-exhibitb-contrexhibitb
[ii] http://blogs.rue89.nouvelobs.com/rues-dafriques/2014/11/22/brett-bailey-sur-exhibit-b-ce-travail-ne-parle-pas-des-noirs-mais-du-systeme-colonial-233831
[iii] http://www.theatregerardphilipe.com/cdn/exhibit-b-le-debat-oui-la-censure-non-exhibit-b
[iv] http://www.104.fr/programmation/evenement.html?evenement=358
[v] http://www.paris.fr/accueil/Portal.lut?page_id=1&document_type_id=7&document_i   d=151123&portlet_id=24052
[vi] http://www.culturecommunication.gouv.fr/Presse/Communiques-de-presse/Reaction-de-Fleur-Pellerin-aux-attaques-dont-a-fait-l-objet-l-aeuvre-Exhibit-B-de-Brett-Bailey
[vii] http://www.ldh-france.org/exhibit-b-spectacle-pas-etre-interdit-annule/
[viii] http://www.liberation.fr/societe/2014/11/23/exhibit-b-l-interdit-racial-de-la-representation_1149135 
[ix] http://mrsroots.wordpress.com/2014/10/14/boycotthumanzoo-i-le-racisme-sinvite-au-musee/
[x] http://www.liberation.fr/societe/2014/11/23/exhibit-b-l-interdit-racial-de-la-representation_1149135
[xi] http://blogs.mediapart.fr/blog/eric-fassin/291114/exhibit-b-representation-du-racisme-et-sous-representation-des-minorites-raciales

lundi 1 décembre 2014

Exhibit B : les mésaventures de l’antiracisme blanc Publié le 1 décembre 2014 par Norman AJARI

Exhibit B : les mésaventures de l’antiracisme blanc Publié le 1 décembre 2014 par Norman AJARI


LES INDIGÈNES DE LA RÉPUBLIQUE

Ce texte n’a pas pour but de prendre position sur l’installation Exhibit B, que je n’ai pas vue, et qui me semble avoir suscité suffisamment d’analyses. Ce que je me propose d’examiner, ce sont les discours de justification d’intellectuels qui se sont emparés de l’affaire, en prenant le parti de l’artiste Bratt Bailey. L’angle de défense est toujours le même : Exhibit B est une œuvre antiraciste qui a été mal comprise. Je vais essayer de montrer que cette ligne n’est pas satisfaisante, car cet antiracisme-là n’est pas convaincant. L’affaire Exhibit B est le révélateur des impasses d’un antiracisme professé par certains intellectuels, pour lesquels il est une façon de se réconcilier à bon compte avec les versants les plus violents de l’histoire de l’Occident, sans se donner la peine de prendre les victimes du racisme au sérieux, c’est-à-dire de les tenir pour des acteurs de l’histoire. La question qui se pose, dès lors, est celle du statut de tels discours antiracistes. Qui touchent-t-ils ? Quels peuvent en être les effets ?


L'intégralité de l'article sur le site  du Parti des Indigènes de la République



Réponse de l'institution théâtrale à des manifestants pacifiques: Photos d'une manifestante gazée au lacrymogène et d'une autre traînée par plusieurs policiers devant le TGP.


Alabama? Ferguson? Non, Saint-Denis devant le TGP les 28 et 29 novembre 2014…
Ces photos ont été prises par Thabo Jaiyesimi, venu exprès de Londres. Pendant ce temps les photographes français se contentaient de regarder, en baillant. Des Noirs pacifiques, qui ouvrent leur gueule et sont capables de parler pour et par eux-mêmes, bien sûr, ça ne rentre pas dans la ligne éditoriale d'une certaine liberté d'expression…